Boris Rebetez, La Réception

Juin - Octobre, 2008, Fondation de l'Abbatiale de Bellelay

De l'espace pour s'ouvrir l'esprit

Au carrefour de routes entre Tavannes et Lajoux, l'abbatiale de Bellelay est un havre. Une maison de repos est installée dans ses dépendances. Et l'église, nichée au creux de cette combe jurassienne, dissimule un volume insoupçonné. De style baroque, elle est longue de 60mètres et haute de 18 m. Les moines prémontrés qui la desservaient furent chassés par la Révolution en 1797. Après restauration de 1956 à 1960, l'abbatiale est maintenant un centre culturel.

Hormis le décor en stuc des chapiteaux et des cartouches de la voûte ne subsistent qu'une trace de fresque, une grille de séparation entre nef et chœur et deux petits autels. Un orgue est en cours de réinstallation. Sinon c'est blancheur et dépouillement. Un cadre qui dicte une respiration ample.

Chaque été, une exposition d'art contemporain est organisée. C'est au tour de Boris Rebetez de s'y retrouver. Cela tombe bien. Ses travaux traitent des environnements aménagés. Et, originaire de Lajoux, l'artiste (né en 1970) sait le respect que le lieu impose. S'il est entré en matière sur la notion d'espace dans pareil endroit, c'est avec humilité. Mais en rappelant que l'espace est autant confinement qu'évasion, jeux de tracés que démultiplications imaginaires.

Ainsi sa cage pour oiseaux, installée au centre du chœur, est symbole de la délimitation. Mais sa construction, comme une sculpture abstraite, s'accorde aux envolées du style environnant. Et ses facettes font écho aux structures hexagonales des verrières. Un rapprochement d'autant plus évident lorsque le soleil fait jouer les ombres. Ainsi également cette voiture posée dans la nef, une reproduction à l'échelle et tout en noir d'un modèle conduit par l'architecte Le Corbusier. Un dessin, un peu plus loin, rappelle l'événement. L'évocation ici, est celle des échappées libres. Même si parfois elles se terminent tragiquement. Lorsqu'une écharpe au vent se prend dans les roues à rayons d'une telle décapotable et étrangle une Isadora Duncan.

Boris Rebetez a le sens des glissements, des dérapages contrôlés. Façon de cerner le débat et, en même temps, de l'ouvrir. A l'exemple de ces parallélépipèdes faits de miroirs, couchés au sol comme des armoires de chambre, précisément, «à coucher». Et dont l'alignement, légèrement décalé par rapport au dallage, rend plus complexe encore la perception. A l'exemple de ses collages, dans lesquels Rebetez insère un lieu dans un autre. Ou qu'il façonne par addition de strates. Mêlant voûtes aériennes de serres botaniques, rangées de livres d'une bibliothèque et terrain en jachère ou superposant plafond d'une usine et pont de navire. Des amalgames dont les composantes ne sont pas si faciles à discerner.

L'artiste mise sur cette confusion. En particulier dans ses dessins. Souvent réduits aux contrastes entre parties dans l'ombre et celles en lumière. Si bien que l'esplanade d'un temple égyptien devient hiéroglyphe, qu'un dédale de rues apparaît comme un serpent qui se mord la queue. Des vues généralement en plongée et de trois-quarts. Comme ces plans isométriques qui font qu'on ne sait plus bien si le bâtiment est vu par-dessus ou par-dessous. Les choses sont donc à examiner sous plusieurs angles, pour les élargir d'ailleurs. L'exercice amène à étendre les connexions. Tel emploi de la couleur noire fait allusion à d'autres usages par d'autres artistes (Malevitch, par exemple). La tonalité mate de la voiture renvoie aux enduits de plâtre qui recouvrent les murs de l'abbatiale. La mention du Corbusier met en rapport des types d'architectures très différentes. Et ainsi de suite. Pour une saine gymnastique de l'esprit.

Philippe Mathonnet, Le Temps - Beaux-arts, 12 août 2008